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"Tes parents tu honoreras!"

TES PARENTS TU HONORERAS!

"Honore ton père et ta mère afin d'avoir longue vie sur la terre que le Seigneur ton Dieu te donne" (Ex 20, 12)

Que de souffrances, de traumatismes, engendrés par ce  Quatrième Commandement! Injonction à la soumission de l'enfant, déni de la responsabilité de l'adulte sur un psychisme en construction...

Anton Tchekov lui -même aurait à plusieurs reprises assuré à ses amis : "Je n'ai pas transgressé le Quatrième Commandement!". A quel prix?

C'est Alice Miller qui, dans tous ses livres, surtout Le Drame de l'enfant doué et Notre corps ne ment jamais, a le plus clairement et simplement expliqué et théorisé l'impact de la toute-puissance de l'adulte sur le jeune enfant et ce pour toute sa vie!

Dans sa préface du dernier livre publié avant sa mort, Ta vie sauvée enfin, elle résume une méthode thérapeutique éprouvée et nous donne accès à une pensée clairvoyante et lumineuse...

A l'issue de cette lecture, la seule question à se poser est alors: "et moi?" en tant qu'enfant ET en tant que parent!

Dire la vérité aux enfants

A en croire des idées encore largement répandues, les enfants sont dépourvus de sensibilité, les souffrances qu'on leur inflige restent sans conséquences, ou en ont moins que chez les adultes, car « ce sont encore des enfants ». Jusqu'à il y a peu, il était même autorisé d'opérer des enfants sans anesthésie . L'excision des petites filles, la circoncision des petits garçons, ainsi que des rituels d'initiation sadiques, sont toujours de coutume dans nombre de pays. Battre un adulte est qualifié de torture, battre un enfant de mesure éducative. Ces faits ne montrent-ils pas clairement, à eux-seuls, qu le cerveau de la plupart des gens a une « lésion », un gros trou à l'endroit où devrait résider l'empathie, en particulier envers les enfants ? Au fond, cette seule observation suffit à démontrer que les enfants battus en gardent des séquelles cérébrales, car presque tous les adultes sont insensibles à la violence exercée contre des enfants ! Pour m'expliquer ce phénomène, j'ai voulu savoir à partir de quel âge les parents estiment pouvoir frapper « un petit peu » leurs enfants pour leur apprendre à se comporter correctement. N'ayant pas trouvé de statistiques sur la question, j'ai commandé, en 2002, une enquête à un institut de sondage : on a demandé à cent mères, appartenant à diverses classes sociales, quel âge avait leur premier enfant quand elles ont jugé nécessaire de le « corriger » par des tapes sur les mains ou les fesses.

Les réponses ont été, à mes yeux, fort instructives : 89 femmes ont répondu, presque unanimement, que leur enfant avait environ 18 mois, 11 ne se souvenaient pas du moment exact, mais aucune n'a déclaré qu'elle n'avait jamais battu son enfant.

Les résultats de cette enquête ont été publiés, la même année, dans la revue Psychologie, mais ils n'ont suscité aucune réaction, ni étonnement, ni indignation, ce qui signifie à mon sens, que cette pratique est largement répandue et rarement remise en question. Or je ne puis que me demander : que se passe-t-il dans le cerveau d'un enfant de cet âge quand il reçoit des tapes ? Même si celles ci ne provoquent pas de grandes souffrances corporelles (du moins aujourd'hui encore nous le supposons), le petit enregistre qu'il a été attaqué, et ce par la personne même qui, lui dit son instinct, devrait le protéger des attaques . Dans le cerveau, encore incomplètement formé, de cet enfant, va naître un trouble profond, un problème insoluble : ma mère est-elle ma protectrice, celle qui me préserve des dangers, ou bien elle-même un danger ? Un bébé est évidemment incapable de répondre à pareille question ; Par conséquent il opte pour l'adaptation, il va considérer la brutalité comme quelque chose de normal et fait l'apprentissage de la violence. Vont subsister la peur (des prochains coups), la méfiance et le déni de la souffrance. Il reste aussi ce que j'ai nommé dans Libres de savoir les blocages de la pensée : le désarroi du petit enfant, conjugué au déni de la souffrance, imprime en l'adulte une réticence -voire le refus pur et simple- à voir le problème des châtiments corporels exercés sur de jeunes êtres. Ces blocages (et la peur qui les sous-tend) empêchent de s'interroger sur ses racines. De sorte que l'on rejette tout ce qui pourrait conduire à une réflexion sur ce sujet.

A ma connaissance, ni les philosophes, ni les sociologues, ni les théologiens ne se sont demandé, jusqu'à ce jour, ce que ressent un petit enfant lorsqu'il est agressé physiquement, et comment le refoulement de ces sentiments va influer sur la vie de l'adulte et le système social dans son ensemble. A la lecture d'un ouvrage récent sur la colère, très documenté et fort bien écrit, j'ai été frappée de constater que l'auteur avait manifestement évité ce thème. Il décrit avec une minutieuse précision les crimes perpétrés, tout au long de l'histoire de l'humanité, par la colère, déchargée sur des boucs émissaires. Mais en ces presque 400 pages on ne trouvera aucune indication sur la genèse de ce sentiment. Il n'est mentionné nulle part que la colère de l'individu naît de celle, originelle et justifiée, du petit enfant envers les parents qui le battent, colère dont l'expression immédiate est réprimée et qui, plus tard, se déchargera avec une violence sans retenue sur des innocents. On pourrait supposer, du fait que la maltraitance des enfants est si largement répandue, mais son refoulement et son déni tout autant, que ce mécanisme (de défense) s'inscrit dans la nature humaine, épargne des souffrances et donc joue un rôle positif. Cependant deux facteurs – au moins- contredisent cette théorie :

Premièrement, le fait que précisément les mauvais traitements niés se transmettent à la génération suivante et que le cycle infernal de la violence va ainsi se perpétuer.

Deuxièmement, que le rappel à la mémoire des maltraitances subies mène à la disparition des symptômes pathologiques.

Nous savons aujourd'hui, l'expérience l'a prouvé, que la mise au jour, en présence d'un témoin capable d'empathie, des souffrances subies dans l'enfance aboutit à la disparition de troubles physiques et psychiques (comme par exemple la dépression). Il nous faut par conséquent, chercher une forme de thérapie radicalement différente des méthodes traditionnelles : car c'est en se confrontant avec sa douloureuse vérité, et non en renforçant le déni, qu'on parviendra à la liberté.

Il en est de même, d'après moi, en ce qui concerne les thérapies d'enfants. J'ai longtemps partagé l'opinion, très répandue, que les enfants ont besoin de s'illusionner et de nier la réalité des faits parce qu'elle serait trop dure à supporter. Mais aujourd'hui je suis persuadée que, comme chez les adultes, la connaissance de leur vérité, de leur histoire, les protège des maladies et des troubles psychologiques. Or, pour cela, ils ont besoin de l'aide de leurs parents.

D'innombrables enfants aujourd'hui, présentent des troubles du comportement, et il existe une multitude de programmes thérapeutiques. Malheureusement, la plupart d'entre eux reposent sur des conceptions pédagogiques selon lesquelles il faut, et l'on peut, apprendre à l'enfant « difficile » à s'adapter et à obéir. Il s'agit donc d'une thérapie comportementale, plus ou moins réussie, consistant en une sorte de « réparation » de l'enfant. Toutes ces méthodes oublient -ignorent- que chaque enfant-problème a une histoire, a subi des blessures à son intégrité, et ceci de très bonne heure, dès avant l'âge de quatre ans, à une époque où son cerveau n'était pas encore complètement formé. Cette histoire reste généralement refoulée.

Or l'on ne peut aider réellement un blessé à guérir si l'on se refuse à regarder ses blessures. Heureusement, un jeune organisme a d'excellentes chances de guérison, et cela vaut aussi pour les plaies psychiques. Le premier pas du traitement devrait donc consister à accepter de percevoir les blessures, à les prendre au sérieux et à cesser de les nier. Il ne s'agit pas ici de « réparation » d'un enfant « perturbé » mais de soigner ses plaies, en lui montrant de l'empathie et en lui transmettant des informations exactes.

Pour son développement émotionnel, pour parvenir à une authentique maturité, l'enfant a besoin de plus que de savoir se comporter en garçon ou fille bien adapté(e). Pour se préserver, par la suite, de dépressions, de troubles de conduite alimentaire et/ou de tomber dans la toxicomanie, il a besoin d'accéder à son histoire. Je pense que, dans le cas d'enfants battus dans leur jeune âge, les efforts éducatifs ou thérapeutiques les mieux intentionnés sont voués à l'échec si on passe sous silence l'humiliation subie en ce temps là. C'est à dire qu'on laisse l'enfant seul avec son tourment. Pour briser cette solitude (et le fait de porter seul son secret) les parents devraient trouver le courage de lui avouer leurs fautes. Toute la situation en serait changée. Ils peuvent par exemple parler à l'enfant et lui dire sereinement :

« Nous t'avons battu quand tu étais encore petit, parce que nous avons été éduqués de cette manière et pensions bien faire. Maintenant seulement nous avons appris que nous n'aurions jamais dû agir ainsi, et nous regrettons de t'avoir infligé une humiliation et des souffrances . Nous ne recommencerons plus. Rappelle-nous s'il te plait cette promesse si nous risquions de l'oublier. Les châtiments corporels sont déjà interdits par la loi, et passibles de sanctions dans 17 pays. Car on a compris, au cours de ces dernières décennies, qu'un enfant battu vit dans la peur, grandit dans la crainte constante des coups à venir. Beaucoup de ses fonctions normales s'en trouvent lésées. Entre autres, plus tard il ne saura pas se défendre s'il est agressé, ou réagira, sous le choc et à cause de sa peur, avec une violence démesurée. Un enfant apeuré a du mal à se concentrer sur ses tâches, tant à la maison qu'à l'école. Son attention se porte moins sur la leçon que sur le comportement du professeur ou de ses parents, car il ne sait jamais quand leur main va déraper. Le comportement des adultes lui paraît totalement imprévisible, par conséquent il doit être perpétuellement sur ses gardes. Cet enfant perd confiance en ses parents, qui devraient le protéger des agressions d'autrui et ne jamais, eux, l'agresser. Or un enfant qui n'a pas confiance en ses parents se sent extrêmement insécurisé et isolé, car la société tout entière prend le parti des parents et non des enfants. »

Ces informations données par les parents ne sont pas une révélation pour l'enfant car son corps sait déjà tout cela depuis longtemps. Mais le courage des parents et leur décision de ne plus se dérober à la réalité des faits auront incontestablement, sur lui, un effet bienfaisant, libérateur, et durable. En outre, ils offriront à l'enfant un exemple important, non par de beaux discours,mais par leur comportement : ils auront fait preuve de courage et de respect pour la vérité et la dignité de l'enfant plutôt que de violence et de manque de maîtrise de soi. Comme tout enfant fait ses apprentissages en fonction du comportement des parents et non de leurs propos, un tel aveu ne peut être que bénéfique. Le secret que l'enfant portait dans la solitude aura été nommé et inséré dans leur relation, qui peut désormais reposer sur le respect mutuel et non sur l'exercice autoritaire du pouvoir. Les plaies jusqu'alors tues peuvent cicatriser car elles ne restent plus entreposées dans l'inconscient. Lorsque des enfants ainsi informés deviendront père ou mère à leur tour, ils ne risqueront plus d'être irrémédiablement poussés, par des blessures refoulées, à reproduire le comportement parfois très brutal ou pervers de leurs propres parents. Le repentir des parents a effacé ces histoires tragiques et les a dépouillées de leur dangereuse force d'action.

Le comportement de ses parents a été pour l'enfant battu l'école de la violence, et toute personne qui travaille dans un jardin d'enfant pourrait en témoigner si elle s'autorisait à voir ce qu'elle a devant les yeux : le gosse battu à la maison bat les plus faibles, ici comme dans sa famille. Là il sera puni pour avoir battu son petit frère, et il ne comprend plus rien à la marche du monde. N'est ce pas ce qu'il a appris de ses parents ? Ainsi naît très tôt un désarroi dont les manifestations feront qualifier l'enfant de « perturbé » et il sera envoyé en thérapie. Mais personne n'ose s'attaquer aux racines de cette perturbation, ce qui serait pourtant une démarche logique.

La thérapie par le jeu, quand elle est menée par des thérapeutes sensibles, peut certes aider l'enfant à s'exprimer et à prendre confiance, dans le cadre d'un espace protégé et constant. Mais, comme le thérapeute fait silence sur les premières blessures subies, l'enfant reste généralement seul avec ce qu'il a vécu. Même les professionnels les plus talentueux ne peuvent le sortir de son isolement si, dans le souci de protéger les parents, ils hésitent à prendre en compte ce qu'il a subi à un âge tendre. Mais ce n'est pas à eux de l'amener à en parler, car l'enfant, effrayé, redouterait aussitôt que ses parents le punissent. Le thérapeute doit travailler avec les parents et leur expliquer pourquoi de telles conversations pourraient être libératrices pour eux-mêmes et pour leur enfant.

Bien entendu cette proposition ne sera pas acceptée par tous les parents même si on le leur conseille. Certains trouveront cette idée grotesque et penseront que le thérapeute est naïf, ignore combien les enfants peuvent être sournois et savent exploiter la gentillesse de leurs parents. Il ne faut pas s'étonner de ce genre de réactions, car la plupart de ces gens voient en leurs enfants leurs propres parents et ont peur de reconnaître une faute puisque, autrefois, chacune risquait d'entrainer de lourdes sanctions. S'ils se cramponnent avec acharnement au masque de la perfection, ils ne changeront peut-être jamais.

Mais j'aime croire que les parents ne sont pas tous incorrigibles, ni M ou Mme Je Sais Tout. Je pense que beaucoup d'entre eux, en dépit de cette peur, renonceront volontiers au jeu de la toute puissance : qu'ils ont depuis longtemps envie d'aider leurs enfants mais, jusqu'à présent, ne savaient pas comment, car reconnaître la vérité les angoissait. Ces parents là parviendront sans doute plus facilement à lever le « secret » et la réaction de l'enfant leur en montrera l'effet positif. Dès lors, ils constateront par eux-mêmes qu'un aveu sincère de leurs fautes est cent fois plus efficace que de prêcher des valeurs du haut de leur autorité : il confèrera à l'adulte une véritable autorité, car elle sera fondée sur la crédibilité. Tout enfant a, bien entendu, besoin d'une telle autorité afin de pouvoir trouver ses repères dans le monde. Un enfant à qui l'on dit la vérité, à qui l'on n'a pas appris à considérer comme licites le mensonge et la cruauté, peut s'épanouir librement, comme une plante dans une bonne serre où ses racines ne seront pas rongées par des nuisibles (les mensonges).

J'ai essayé de tester cette idée sur des amis, demandé à des parents mais aussi à des enfants ce qu'ils en pensaient. J'ai constaté que j'avais été très souvent mal comprise, que mes interlocuteurs croyaient que je demandais aux parents de s'excuser. Les enfant répliquaient qu'il fallait pouvoir pardonner à ses parents etc...

Mais ce n'est pas du tout ce que je veux dire ; quand les parents s'excusent, les enfants peuvent avoir le sentiment que ce que l'on attend d'eux, c'est justement la pardon, afin de décharger les parents de leurs sentiments de culpabilité, de les en libérer.

Or il ne s'agit pas de cela. Ce que je propose, c'est une information qui va confirmer ce que sait le corps de l'enfant, et va se centrer sur le vécu de ce dernier. On se focalise sur l'enfant, sur ses sentiments et ses besoins légitimes. Quand celui ci constate que ses parents s'intéressent à ce qu'il a ressenti face à leurs abus de pouvoir, il éprouve un grand soulagement, et aussi, d'une certaine manière, l'impression qu'on lui a rendu justice.

Il ne s'agit pas de pardon, mais d'évacuer des secrets qui ont creusé des fossés. Il s'agit de construire une nouvelle relation, reposant sur la confiance mutuelle, et de rompre la solitude où se trouvait jusqu'alors l'enfant battu.

Lorsque les parents ont reconnu avoir infligé des blessures, on pourra voir bien des gâchis se réparer, et se produire comme un processus de guérison spontanée. Certes l'on attend ce genre de bons résultats du travail des thérapeutes, mais ils ne peuvent l'accomplir sans l'aide des parents. Si ceux-ci s'adressent à leur enfant avec bienveillance et respect, et reconnaissent sincèrement leurs torts, sans dire : « tu nous y as poussés par ton comportement », beaucoup de choses vont changer.

L'enfant a reçu des modèles qui peuvent le guider, on n'a pas tenté de se dérober à la réalité, pas essayé de le « corriger » afin qu'il plaise mieux à ses parents, on lui a montré que la vérité peut être exprimée par des mots, dont la vertu curative est perceptible. Et surtout : une fois que les parents ont reconnu leur faute, il n' a plus à se sentir coupable de leurs défaillances. Or ce genre de sentiments de culpabilité est à l'origine d'un grand nombre de dépressions chez l'adulte.

Les enfants ont pu sentir, à travers de tels entretiens, que leurs parents ont pris au sérieux leurs blessures et leurs sentiments et ont respecté leur dignité, sont également mieux protégés des effets nocifs de la télévision que ceux qui portent en eux des désirs de vengeance refoulés, inconscients, contre leurs parents et, de ce fait, s'identifient aux scènes de violence vues sur le petit écran. Ce n'est guère par des interdictions – comme les préconisent les hommes politiques- qu'on les empêchera de se « délecter » de ce que leur offre ainsi la télévision.

En revanche, des enfants informés des blessures subies dans leur jeune âge auront sans doute un regard plus critique sur ce genre de films ou bien s'en désintéresseront rapidement. Peut-être même discerneront-ils le sadisme sous-jacent de leurs auteurs plus aisément que bien des adultes décidés à ignorer les souffrances de l'enfant battu qu'ils furent. Ceux-ci, dans bien des cas, se laissent fasciner par ces scènes de violence sans se douter qu'ils sont abusivement amenés à consommer les déchets émotionnels d'une vie que le cinéaste présente sous le nom "d'art" et vendra bien, en ignorant qu'il s'agit de sa propre histoire.

Cela m'est apparu clairement en entendant une interview d'un célèbre metteur en scène américain qui montre volontiers dans ses films d'horribles monstres et des pratiques sexuelles brutales avec des flagellations. Il y déclarait que, grâce à la technique moderne, il pouvait faire comprendre que l'amour avait différents visages et que la flagellation aussi était une forme d'amour. Où, quand et par qui cette effarante philosophie lui a-t-elle été inculquée dans sa prime enfance ? Il ne semblait pas en avoir la moindre idée et il en sera probablement ainsi jusqu'à la fin de ses jours . Cependant, ce qu'il conçoit comme son art lui permet de raconter son histoire tout en la bannissant totalement de sa mémoire. Cet aveuglement a, évidemment, de lourdes conséquences sociales.

L'âge le plus propice pour parler à ses enfants des blessures qui leur ont été infligées se situe sans doute entre 4 et 12 ans, donc avant la puberté. Après l'adolescence, l'intérêt pour ce sujet va probablement diminuer. Les défenses contre le souvenir des souffrances précoces risquent d'être déjà solidement construites, d'autant que ces enfants proches de l'âge adulte ont des chances de devenir bientôt parents à leur tour et, entrés dans le rôle du fort, d'oublier ainsi définitivement leur impuissance d'autrefois. Mais ici aussi il existe des exceptions, et de plus le vie de l'adulte comporte des moments où, quelle que soit l'ampleur de sa réussite actuelle, une maladie physique le contraint à s'interroger sur son enfance. Presque toute les lettres que je reçois sur mon site internet racontent le même genre d'histoires : « Je n'ai pas été maltraité(e) mais cependant souvent battu(e) et tourmenté(e). J'ai néanmoins réussi à fonder une famille. J'ai des enfants, un bon boulot, etc...Or, maintenant je souffre de dépressions, de douleurs, d'insomnies et je ne sais pas pourquoi. Se pourrait-il que cela ait un rapport avec mon enfance ? Mais tout cela est loin et je ne me souviens presque pas de cette époque... »

Il n'est pas rare que les gens qui se posent pareilles questions et cherchent à y répondre découvrent leur vrai Soi, l'histoire de l'enfant maltraité et de ses souffrances niées. Ils commencent à vivre avec leurs véritables sentiments au lieu de les fuir, et parfois s'étonnent d'avoir, par ce chemin, trouvé la délivrance . Ils donnent à l'enfant qu'ils furent ce que ses parents n'ont jamais pu lui donner : la permission de connaître sa vérité, de vivre avec elle, de l'admettre et de cesser de la fuir. Comme, à présent, ils connaissent leur vérité, ils n'ont plus besoin de tromper ou d'anesthésier leur corps au moyen de drogues, de médicaments, d'alcool ou de théories qui sonnent bien. Ils retrouvent les énergies qu'auparavant ils ont dû mobiliser pour se fuir eux-mêmes.

ALICE MILLER

Ta Vie Sauvée Enfin

Flammarion 2017

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